La plus grande partie de ma vie s'est passée sans autre horizon physique
que ces parois de béton qui m'entourent. J'ai exploré les moindres recoins de
mon austère espace. Restreint au maximum. Là, dans ce clapier à lapins où je
suis reclus depuis plus de quarante années, j'ai découvert des mondes lointains
insoupçonnés, minuscules, imperceptibles et merveilleux.
Dans l'invisible de ma réclusion j'ai perçu des immensités.
Au sein de l'étroit univers de ma geôle j'ai parcouru des plaines
irréelles, emprunté d'impossibles chemins d'évasion, admiré des paysages
inexistants. En tournant en rond dans ce périmètre exigu, véritable continent à
échelle d'une fourmi, je me suis maintes fois échappé.
Jusqu'à atteindre les confins de la banalité se présentant à ma triste
réalité... Et c'est ainsi que, des heures durant, j'ai contemplé béatement de
simples particules de poussière flottant dans l'air. Comme si j'avais vu des
étoiles briller dans ma cellule. Mais je me suis également embarqué dans des
radeaux de rêves, à la dérive sur les fleuves sans fin du temps, m'emmenant
tantôt en haut, tantôt en bas de mes jours sans but.
Pitoyables aventures d'un pauvre détenu à perpétuité qui se prend pour un
argonaute de l'ombre, un découvreur d'astres imaginaires, un sondeur de mystères
!
Réduit à une existence de hamster, contraint à ne pas dépasser l'envergure
d'un rat de prison, je ne suis en vérité et par la force des choses, je le sais
bien, rien de plus qu'un explorateur des bas-fonds, un proche des cafards, un
poète au rabais ! En un mot, la parfaite incarnation de la misère ordinaire
régnant dans le milieu carcéral... Et je me crois un roi ! Mon royaume n'est
qu'un cachot.
Et là, au bord de la tombe, à présent que je ressemble plus à un cadavre de
rampant qu'à un bipède vivant, je rends l'âme goutte à goutte. Etendu toute la
journée sur mon lit à attendre que tout finisse, je me vide de mon essence de
criminel en pénitence. Et continue de m'alléger peu à peu des derniers restes de
ma noirceur pour renaître vers une sphère de vraie gloire.
Loin de cette fausse lumière éclairant perpétuellement le plafond de ma
forteresse de neuf mètres carrés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire