La cuisine que l'on sert aux criminels de mon espèce ne semble pas avoir été conçue pour qu'ils s'évadent deux fois par jour vers de mémorables hauteurs gastronomiques... Mais simplement pour les maintenir en vie. Ce qui est déjà beaucoup.
La qualité de mes repas demeure invariablement médiocre.
Pour autant, les rats ne feraient pas la fine bouche devant ces aliments. Je ne vaux pas davantage que ces derniers, aussi avalé-je tout sans broncher. Je trouve cela trop bon pour un condamné comme moi. J'aurais bien honte de m'indigner en ces circonstances sous prétexte que la soupe est mauvaise. J'estime ne pas mériter de me régaler avec. En effet, je me pourlèche de ce que l'administration pénitentiaire me fait ingérer. N'est-ce pas de ma part la moindre des bontés que de rendre grâce à l'institution qui se soucie de me traîter encore humainement, moi la bête, moi le gibier de cellule ?
Le pain que je mange entre ces murs qui m'accablent reste encore un luxe à ma portée, même si on le jugerait immangeable à l'extérieur de la prison.
Mes petits festins de taulard constituent autant de sommets appréciables dans mon quotidien misérable.
D'âpres menus semblables à de maigres pommes aigres ramassées au milieu d'un champ de chardons. Une récolte de fruits infâmes certes, mais toujours mieux que des épines à se mettre sous la dent. L'avantage avec le bouillon insipide et frugal de l'indigent, c'est qu'il y a au moins de l'eau à boire dans la gamelle.
Les âmes sombres ou éternellement insatisfaites voient dans cette austérité une perte de jouissance, une diminution de leur bien-être. Les gens simples s'y accommodent volontiers, le peu valant à leurs yeux mille fois plus que le rien.
Et puis, la moisson du crime étant nécessairement amère, de quoi oserais-je me plaindre dans ma situation ? Je bénis cette nourriture offerte qui me rassasie et ne maudis que mes mains de bandit !
De toute façon il faut bien que je savoure ce que je ne peux éviter de digérer. Faire le difficile ne m'avancerait pas à grand-chose. Je recevrai ce régime jusqu'à mon souffle final.
J'attends mon écuelle sans passion mais avec reconnaissance.
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