21 septembre 2025

2 - Départ

Le grand voyage commence.
 
Me voici assis au bord d'une éternité, au pied d'une épreuve incommensurable, écrasé par des milliers de jours à venir, tous invariables, dont chacun sera une plaie.
 
Je me retrouve embarqué de force dans une aventure statique qui, à chaque instant, me mènera tragiquement à mon point de départ.

Jeté dans cette mer d'huile mortellement immobile,
accroché à mon radeau d'ennui, je vais désormais devoir naviguer sur les heures lourdes, interminables, innombrables et anonymes déferlant devant moi.
 
Le temps devenu torture me rongera, m'engloutira, et le monde extérieur pour moi s'éloignera d'année en année. La vie dehors restera définitivement hors de ma portée. Au-delà de la prison, tout m'apparaîtra aussi inaccessible qu'abstrait.
 
Je ferai de l'univers minuscule de ma cellule mon unique océan.
 
Je traverserai cet espace restreint en long et en large, en travers et en profondeur jusqu'à y découvrir des trésors dérisoires qui me sembleront sans prix.
 
Cependant rien n'est tout à fait perdu puisque je n'ai plus la moindre chose à perdre. La plus petite parcelle de nouveauté, d'action, de pensée, de réalité que je peux gagner dans ma situation, aussi insignifiante soit-elle, ajoutera fatalement du "beaucoup" au "peu".
 
Vaille que vaille, je me laisserai donc pousser des ailes, moi le captif des murs, moi l'âme pécheresse soumise aux fers des hommes, moi l'oiseau mis en cage, afin de prendre de la hauteur au-dessus de ce trou sans fin au lieu de m'y étaler platement.
 
Les rares prises qui demeurent encore possibles pour me faire tenir ne sont pas d'ordre physique, matériel, mais purement poétique. Au lieu de m'adosser bêtement aux barreaux, je m'agrippe à mes bulles mentales : une des plus légères manières de m'échapper.
 
Chaque seconde sacrifiée ici constituera pour moi une peine, une souffrance distillée goutte à goutte.
 
Mais ce purgatoire où je sentirai la brûlure des minutes sera aussi mon ciel.
 
Ce gouffre de neuf mètres carrés dans lequel mon coeur de criminel se videra de ses noirceurs miette après miette pour mieux se racheter, se chargera tout à la fois d'espérance.

Je suis en ce lieu pour y mourir : à mon dernier souffle, je serai totalement lavé de mon crime.

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