Une fois par an je reçois la visite en grande pompe du directeur de
l'établissement pénitentiaire dans les neuf mètres carrés de ma cellule. Escorté
de gardes et armé de plus louable volonté du monde, cet être exceptionnel prend
soin de recevoir les multiples doléances et les rares remerciements de ses
hôtes. A l'écoute de tous sans exception, il ne compte pas son temps pour
entendre les reproches et injures des uns aussi bien que les compliments et
gratitudes des autres. Doué d'une sincère humanité, il se met à la portée de
chacun sans faire de manière. En ce qui me concerne je n'ai, à chaque fois, que
des grâces à lui adresser.
D'une extrême courtoisie, le responsable de la population carcérale veille
avec bienveillance sur les prisonniers dont il a la charge. Mais non sans un
sens tranché de la justice : d'une dureté impitoyable envers les durs, il sait
faire preuve par ailleurs d'une douceur angélique face aux doux. Il rétribue au
centuple les torts comme les mérites.
Ce zélé serviteur de l'Etat éclairé par des causes supérieures à sa
hiérarchie n'a pas son pareil pour instaurer un ordre totalitaire au sein de cet
univers voué au châtiment. Mais également à la rédemption qui accompagne
naturellement la verge justicière...
Il règne parmi les bons et les méchants que nous sommes Il laisse la
liberté aux détenus de suivre tel ou tel chemin. A leurs risques et périls. Et
avec lui il n'y a pas de demi-mesure : ses promesses de répression ou de
récompense sont à prendre ou à laisser tout d'un bloc. Dans son implacable
acharnement à briser le vice et encourager la vertu, il propose le tout ou rien,
le sommet ou le gouffre, le blanc ou le noir. Entre le bien et le mal, pas de
place pour la tiédeur ! Redoutable de despotisme dans la droiture, il peut à
loisir user de ses crocs tout puissants de loup idéaliste pour broyer les
incorrigibles récalcitrants ou bien contraire se montrer désarmant de bonté et
de gentillesse à l'égard des âmes sur la voie du rachat.
J'apprécie réellement cet homme hors norme qui, finalement, me ressemble
follement par sa nature illuminée et généreuse. Et je crois que lui aussi voit
en moi son plus aimable reflet, même si je me trouve de l'autre coté des murs.
Sorte de mafieux de la lumière, il exerce son pouvoir avec une férocité
totalement céleste et un abus absolument divin ! Même si mon épreuve de captif à
vie demeure terrible, à son bénéfique contact je me sens monter et non
descendre, avancer plutôt que reculer. Et en vérité grandir au lieu de
m'anéantir stérilement.
Je lui destine mes sentiments de criminel les
meilleurs.
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