10 novembre 2025

62 - Les larmes de la nuit

Normalement, la nuit je dors. Comme tous ceux qui ont de bonnes raisons de succomber au sommeil. Mais parfois, là dans le néant de ma cellule, je demeure conscient pour le malheur des murs et de moi-même. Je regarde couler les larmes de la prison le long de ces heures perdues qui s'étirent, ralentissent et s'attardent stérilement avant de mourir à mes pieds. Tout pleure autour de moi. Tout gémit et rien ne vient me sauver de ce gouffre où je sombre.
 
J'observe le temps passer, l'horizon reculer, la mort approcher.
 
Je me retrouve aussi démuni qu'une brindille au coeur de l'océan. Nul réconfort, pas une terre ferme en vue, même très loin de moi. Juste des journées sans fin à endurer, des mois interminables à subir, d'innombrables années à supporter, le tout défilant avec la lenteur des montagnes : quasiment un siècle me sépare de ce trou plein de vide de la fosse finale !
 
Je vois le ciel s'évanouir, l'ombre m'ensevelir, l'ennui me mollement pétrifier.
 
Je vogue dans un espace d'une effrayante uniformité où ma solitude y brille tel un phare crépusculaire. J'assiste aux milliers de levers d'un soleil noir et à autant de couchers désespérés. L'astre censé compter mes jours d'incarcération est déjà brisé.
 
Je sens les barreaux m'enlacer, ma peine s'éterniser, ma vie s'obscurcir.
 
Les ténèbres sont totales, j'ignore où je suis arrivé au bout de cette route qui n'a même plus de nom... Il me reste encore mes yeux intérieurs pour contempler l'ampleur du désastre. Le naufrage, aussi misérable soit-il, me semble cependant recéler quelque chose de grandiose : je meurs dans la cour des grands. J'ai l'impression malgré tout de traverser un enfer à la mesure d'un paradis. Cet abîme où je m'enfonce est le reflet inversé d'un éden à reconquérir. Si l'un est si profond et pesant, l'autre est nécessairement éclatant et léger.
 
Mais voilà que l'aube dissipe peu à peu mes pensées sombres.
 
Tout est toujours possible sous la lumière du monde qui s'éveille. Le matin illumine mon âme, mes vues s'éclaircissent, je me laisse envahir par l'air frais qui pénètre à travers ma fenêtre ouverte.

Je préfère faire semblant de croire que mon insomnie n'était peut-être qu'un simple mauvais rêve.

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