19 novembre 2025

69 - Les passages du temps

Vu depuis mon antre carcéral, le temps est un ogre aux traits moroses qui se déplace avec des semelles de plomb, effectuant un circuit absurde et éternellement recommencé au sein de ma geôle. Il marche en rond autour de moi à pas lents et pesants vers un but impossible, jetant des regards incessants sur les barreaux de ma cellule, la tête dans les brumes de l'ennui, l'air hagard, l'âme aussi lourde qu'une massue.
 
Je le côtoie en tant que compagnie imposée et essaie de l'éloigner de mon triste asile de rat à chaque fois que cela m'est possible.
 
Il prend toute la place dans mon minuscule espace de vie, lequel se présente tantôt comme un mouroir, tantôt comme un tombeau. J'ai déjà assez à faire avec la grisaille de mon misérable quotidien et le reste de mes affaires pour, en plus, devoir le supporter ! Je n'ai évidemment nul besoin de le sentir traîner à mes côtés et de le voir faire sa ronde folle entre les murs mortels de mon cloître.
 
Lorsqu'il passe me rendre visite, je fais tout pour le chasser. Il sort alors un moment de mes pensées. Mais repasse aussitôt après dès que j'ai le dos tourné. Et il va et vient encore et encore, réinvestissant les lieux, se posant ici et là sans y être invité, s'attardant entre le lit et la table, s'éternisant stérilement sur le sol ou sur le plafond, et ceci en permanence. En réalité il n'arrête jamais son manège. Il m'indispose, me harcèle, pénètre toujours dans mon trou sans frapper, monopolisant inutilement mon attention. Il insiste longtemps et infatigablement pour demeurer auprès de moi.
 
Parfois, fatigué de ses intrusions intempestives, je le laisse hanter à loisir mes journées vides de sens. Là, il s'en donne à coeur joie ! Il s'allonge un instant sur ma couche puis se relève prestement pour, tout aussi brièvement, se tenir sur le bord de la fenêtre afin de contempler la cour. Mais cela ne lui suffit pas. Il lui faut explorer les moindres recoins de mon étroite maison de malheur ! Il stagne ainsi des heures durant sur chaque chose, sans se lasser d'être là. La pièce où je croupis devient son royaume, son empire, son seul univers.

Et je ne peux rien y faire, les jours sont finalement ses jours. C'est lui le maître, moi le pantin.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire