Cela fait dix ans que je suis dans cette taule qui me dévore à petit feu.
Le temps s'écrase sur mes épaules en éclaboussant les murs de ses vagues de vide, préparant avec patience une tombe au nom effacé... La nuit de mon quotidien est devenue mon unique soleil et l'ampoule électrique de ma cellule mon cauchemar éveillé.
La première est invariable et sans éclat, la seconde allumée en permanence.
Les jours de ma vie filent comme les siècles autour d'un rocher : rien de notable ne se passe, si ce n'est la brise qui effleure inutilement la pierre. Les vents des saisons murmurent au-dessus de ma tête, tandis que je végète planté sur place, condamné à la pétrification. Je sens le monde tourner loin de moi, abstrait, insaisissable, invisible.
Ma routine seule me maintient en lien avec le réel, mais un autre réel que celui de l'extérieur. Ma réalité pragmatique est constituée d'obscurité et d'anonymat, un mélange de menues pesanteurs et de creux immenses. La météorologie générale de ma geôle demeure sous le régime strict de la grisaille. Les heures vouées à l'immobilisme forment une brume où se confondent matins et soirs. Les platitudes de l'ennui dessinent l'horizon sans surprise de mes journées fades.
Chronos creuse une fosse d'ombre et d'oubli où je disparais lentement. Je vogue dans des ténèbres qui s'épaississent progressivement, entouré du silence, accompagné de ma solitude. Quand mon voyage se terminera-t-il ? La mort me semble hors d'atteinte, encore bien trop éloignée du présent où je m'enlise. Même après une décennie de traversée du néant, je n'aperçois toujours pas ce rivage libérateur. Ce que j'estime être à la fois une consolation et une déception.
Cela dit, tant que je respire je ne me laisse pas enterrer vivant. J'ai les pieds enracinés dans le béton de la prison et le coeur branché sur une prise onirique. Mon corps reste captif des frontières tangibles, mon âme en détient les clés. Voilà qui me sauve de la bêtise du désespoir !
Certes ma personne physique se trouve sous les fers temporels, mon esprit heureusement peut prendre ses distances, se libérer des fatalités matérielles et s'envoler plus haut que l'opaque plafond, s'échapper vers des sphères subtiles.
J'attends que s'achève l'éternité de ma peine.
Avec mes semelles de plomb, je sortirai par une porte d'azur.
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