Les ans s'écoulent à interminables pas de fourmi sous mon pitoyable plafond
de neuf mètres carrés de surface. Je suis devenu moi-même un mur, un bloc de
béton, un barreau.
Je fais partie du bâtiment, définitivement scellé à ma cellule. Comme si
j'étais la table fixée au sol, le lit collé au coin de la pièce ou le siège des
toilettes.
Certes, je partage le même statut d'immobilisme que n'importe quel meuble
rendu inamovible de cet endroit où je vais finir mes jours... Je respire et
palpite, vibre et m'enflamme cependant. Un vivant qu'on enchaîne et emmure peut
il est vrai ternir dans ses apparences, mais souvent à l'intérieur survit en lui
une parcelle de lumière. Une flamme originelle qui reste plus ou moins intacte,
selon la nature des êtres.
Ma carcasse usée par l'ombre carcérale demeure pleine de rêves. Ainsi les
printemps qui se faufilent sous ma lucarne ceinte de fer me réveillent de toutes
les torpeurs. Je renais chaque année à la même période, tel un chardon endormi
soudainement conscient d'avoir la possibilité de produire une fleur. La cour de
la prison ne change guère d'aspect, pourtant elle est embaumée de légèreté,
imprégnée par les senteurs de la belle saison. Les odeurs de floraisons qui me
parviennent enchantent mon âme et m'emportent dans mes souvenirs de
liberté.
Et je voyage sur les ailes d'avril pour parcourir d'oniriques champs de
verdure, arpenter d'imaginaires prairies semée de pâquerettes, bondir par-dessus
d'intangibles et étincelants ruisseaux, m'enfoncer sous les frondaisons d'un
idéal asile sylvestre, me projeter vers d'éclatants horizons...
De simples effluves vernaux suffisent à me transporter de la sorte, de
manière fulgurante, très loin de mon lieu de réclusion...
S'il y a bien une chose que l'administration pénitentiaire ne pourra jamais
contraindre, emprisonner, empêcher d'entrer dans ma geôle, c'est la brise
printanière qui vient jusqu'à moi pour me délicieusement monter à la tête et me
faire quitter mon cloître de malheur.
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