22 octobre 2025

50 - Des ombres

Suis-je en train de perdre la raison ? Ou au contraire serais-je devenu accessible à des réalités cachées à force de demeurer en contact intime avec les murs de ma solitude, ici au coeur de ma cellule ?
 
Du fond de mon tombeau allumé en permanence (la nuit l'éclairage baisse juste un peu d'intensité), je vois parfois des reflets étranges, capte de temps en temps des phénomènes que je n'explique pas, perçois en certaines occasions des formes furtives échappant à toute analyse rationnelle. Comme si un monde invisible se manifestait à moi.
 
Tandis que je me trouve seul dans ma pièce de captivité, des choses singulières surviennent au sein même de mes neuf mètres carrés. L'ambiance change, je me laisse emporter vers un autre univers. Cela débute par une impression d'intrusion : des entités pénètrent ma sphère privée bornée par les barreaux. Elles envahissent l'espace étroit de ma geôle et s'y meuvent à leur aise. Je sens leur présence dans le silence qui m'entoure. Je n'ai pas vraiment peur, je suis surtout curieux de découvrir ce qui se passe, attentif à cet inconnu qui s'ouvre à moi.
 
Ces expériences se révèlent subtiles et très personnelles certes, elles sont cependant bien réelles, de mon point de vue. Rien de ce qui m'apparaît là ne ressemble à un rêve.
 
Des figures énigmatiques surgissent et s'animent au milieu de mon gouffre. Âmes indéterminées tournant follement en mon lieu de réclusion pour y apporter un peu de leur légèreté ? Esprits s'invitant dans mon trou d'oubli afin d'y meubler opportunément le vide de leur flamme ? Bien que cela semble paradoxal, ces natures brumeuses sont loin de dégager de sombres intentions. Il émane de ces visiteurs immatériels une douce clarté. Et ces intrus venus de je ne sais où, non contents de me tenir obscurément compagnie, m'adressent également des signes. Des messages que je cherche à déchiffrer.
 
Je ne comprends ni le pourquoi ni le comment de ces faits. Peu importe : ils se présentent à moi telle une certitude de fer. Aussi éclatants que des étincelles. Je ne doute nullement de leur existence.
 
Qui sont ces êtres ? Que me veulent-ils ? N'ayant aucune réponse, je me contente de l'essentiel : leur bienveillance me suffit.
 
J'ai affaire à un mystère, pas à de simples illusions. Des événements impossibles à prouver mais tellement prégnants !
 
Entre la banale démence et l'irruption d'un ailleurs, je penche pour la seconde hypothèse : bien que ces images prennent des apparences vagues, elles s'imposent de manière trop évidentes à ma conscience pour que je les relègue au rang de troubles de la pensée. Il serait facile et néanmoins malhonnête de tenter d'interpréter l'impalpable à travers un discours purement psychiatrique.
 
Cela bien sûr dépend des personnes, mais en ce qui me concerne je crois que le fait de vivre reclus pendant une longue période implique nécessairement des changements dans ma perception intérieure. Au départ je pense avoir assez de prédispositions pour que ces rencontres se réalisent. Ce qui n'est pas forcément le cas pour tous les détenus. Isolé dans mon antre de métal et de béton, et par conséquent de plus en plus introspectif, je m'évade non par l'extérieur mais en direction de mes profondeurs.

Et aux heures propices je deviens progressivement sensible aux secrets de l'intangible et finis par me mettre à l'écoute du calme tout autour de moi. Dans ces rares moments où la prison est plongée dans la torpeur, des têtes sortent de nulle part et parlent à ceux qui gardent les yeux ouverts.

Alors commence pour moi le grand théâtre des ombres.

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