Après tant d'années enfermées dans ma cellule, j'ai appris à écouter le
silence et à y entendre de nouvelles voix, à prêter attention à l'impalpable et
à y déceler des formes inhabituelles, à poser le regard sur de plus lointains
horizons et à y voir d'autres brumes.
Mes sens se sont adaptés à l'univers borné de la vie carcérale. Et
paradoxalement, les parois qui m'encerclent ont reculé au fil du temps. De cette
façon mon champ de vision s'est considérablement élargi. Selon ma disposition du
moment, je considère ces murs tantôt comme des remparts de béton inamovibles,
tantôt comme de simples écrans de papier qu'un seul de mes rêves peut
déchirer.
Un jour je suis isolé au fond d'un sombre cachot, le lendemain je me
retrouve entouré d'un tas de brillantes présences sous une clarté radieuse :
j'oublie tout ce qui est opaque, épais et lourd, pour ne plus percevoir que ce
qui essentiel, éclatant, aérien. Tout dépend de mon humeur, de mon état mental,
de la hauteur mon âme.
Ainsi dans la solitude de ma geôle il m'arrive de tendre l'oreille dans ce
vide supposé pour y recevoir des mots venus non de loin mais de tout près...
L'ombre des barreaux projetée de manière plus ou moins diffuse dans ma pièce de
réclusion, des modestes objets divers posés ça et là, et même celle de mon
propre corps, me communiquent leurs pensées intimes. Tels des spectres
familiers, elles m'adressent des paroles secrètes, des confidences de
l'invisible, me dévoilent leur monde caché, m'ouvrent l'esprit à leurs réalités
aux apparences certes toujours plates mais tellement multiformes et aussi
mouvantes que possibles...
Tout un théâtre se joue sous mes yeux. Rien que pour moi. Et j'attribue tel
visage à telle silhouette obscure me destinant soit ses flammes mystérieuses
soit ses flots indicibles. J'associe telles qualités à tels vagues traits qui
semblent me fixer dans la lumière franche du matin ou dans le trouble du soir.
J'accorde telle importance à tel interlocuteur subtil et longiligne qui se
dresse devant moi de toute sa finesse...
Tout ce peuple de minceurs et de fluidités me tient compagnie de l'aube
jusqu'au crépuscule, avant de s'évanouir subitement dans la pénombre de la nuit.
A l'heure du coucher, sous l'éclairage atténué de l'ampoule électrique, elles
deviennent confuses, beaucoup plus incertaines et je les perds de vue. Et je
finis alors par me demander avec qui j'ai bien pu converser toute la journée, là
abandonné au milieu de ma forteresse.
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