Je suis devenu l'équivalent d'une poussière.
Terne, minuscule, invisible, oublié dans le néant de l'exclusion, disparu
dans les ténèbres d'une condamnation à perpétuité, je n'existe définitivement
plus pour le monde extérieur.
Pour autant, cela ne constitue pas fatalement pour moi la pire des
situations à vivre : des profondeurs de mon gouffre je peux encore décider de
voir l'Univers autrement en changeant simplement ma perception de la réalité. A
mon avantage, bien entendu.
Rien ne m'oblige, en effet, à adopter le modèle dominant de l'ordre établi.
Il m'est parfaitement loisible de percevoir le ciel et la terre selon des angles
plus personnels. Dans ma tête, tout demeure possible. Je puis prendre comme un
bénéfice ce qui est jugé comme un malheur aux yeux de n'importe quel
mortel.
Si la perte de ma vie sociale est grande, paradoxalement vue sous un
certain aspect la liberté que je gagne ailleurs l'est également. Certes, je
recule d'un côté. Mais qu'est-ce qui m'interdit d'avancer, de l'autre ? Je fais
le choix de creuser une nouvelle voie dans la nuit afin de suivre une route
différente.
Dans cette prison je me retrouve indubitablement dans le noir total d'un
voyage final.
Me voilà pourtant au centre du Cosmos. Je ne me considère plus ainsi qu'un
homme quelconque coincé dans les rouages étriqués de la société : j'apparais au
contraire tel un point crucial au sein de cette impasse carcérale.
Et je vole !
A peine perceptible, quasi inexistant, insignifiant dans ma minceur,
anonyme parmi le reste des choses effacées, je tressaille, m'agite et bondit
cependant. Semblable à ces particules qui flottent dans la pénombre d'un
grenier, dans l'obscurité d'une grotte ou dans le flou d'un abysse, je
virevolte, tournoie, monte au moindre souffle.
Aussi subtil qu'un fil de pensée.
Depuis l'espace misérable de ma réclusion, je conçois diversement les
rapports entre les êtres et les objets. Mon existence y est dure mais
perfectible. Mon esprit s'adapte à ces âpres circonstances : réduit aux neuf
mètres carrés de ma geôle, il fait de cette dernière tout un royaume. Il dépasse
l'opacité des murs et les remplace par des horizons éclatants.
En quelque sorte, je me réinvente dans ma cellule.
Le temps passé derrière les barreaux est un véritable tourment. Mais aussi
un luxe. Mon âme, allégée des soucis du quotidien, des pesanteurs et obligations
du siècle, se livre sans entrave à toutes les spéculations que permettent
l'enfermement et l'inactivité. En cela elle ressemble à ces parcelles de
matières libres qui tournent et fusent dans le silence des coins cachés.
Ces corpuscules volants s'apparentent tellement à des étincelles...
Les plus faibles mouvements d'air suffisent à les faire danser dans
l'immensité du vide. Une once d'électricité statique ou une humble brise leur
sert d'onde motrice. Et ces vagues hasardeuses qui les animent les portent loin
et très haut.
A l'image de ces fragments de saleté que l'on associe à des diamants
éphémères dès qu'un frémissement les soulève vers un rai de lumière, dans mon
abîme il me faut peu de vent, une cause infime pour que je décolle et vogue dans
des sphères secrètes.
Dehors, on estime que je n'incarne aucune flamme majeure tant ma présence
semble anodine dans l'étroite pièce de mon confinement. Pour les regards
profanes, ma personne se résume à un numéro d'écrou dans un pénitencier où je
paie mon crime.
En vérité ici je brûle, brille et palpite, même si nul ne le sait.
Dans ces moments suprêmes où les jours qui s'accumulent me projettent en
direction de tous les vertiges, au fond de mon trou je me sens l'égal d'une
étoile.
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