12 novembre 2025

63 - Poussière

Je suis devenu l'équivalent d'une poussière.
 
Terne, minuscule, invisible, oublié dans le néant de l'exclusion, disparu dans les ténèbres d'une condamnation à perpétuité, je n'existe définitivement plus pour le monde extérieur.
 
Pour autant, cela ne constitue pas fatalement pour moi la pire des situations à vivre : des profondeurs de mon gouffre je peux encore décider de voir l'Univers autrement en changeant simplement ma perception de la réalité. A mon avantage, bien entendu.
 
Rien ne m'oblige, en effet, à adopter le modèle dominant de l'ordre établi. Il m'est parfaitement loisible de percevoir le ciel et la terre selon des angles plus personnels. Dans ma tête, tout demeure possible. Je puis prendre comme un bénéfice ce qui est jugé comme un malheur aux yeux de n'importe quel mortel.
 
Si la perte de ma vie sociale est grande, paradoxalement vue sous un certain aspect la liberté que je gagne ailleurs l'est également. Certes, je recule d'un côté. Mais qu'est-ce qui m'interdit d'avancer, de l'autre ? Je fais le choix de creuser une nouvelle voie dans la nuit afin de suivre une route différente.
 
Dans cette prison je me retrouve indubitablement dans le noir total d'un voyage final.
 
Me voilà pourtant au centre du Cosmos. Je ne me considère plus ainsi qu'un homme quelconque coincé dans les rouages étriqués de la société : j'apparais au contraire tel un point crucial au sein de cette impasse carcérale.
 
Et je vole !
 
A peine perceptible, quasi inexistant, insignifiant dans ma minceur, anonyme parmi le reste des choses effacées, je tressaille, m'agite et bondit cependant. Semblable à ces particules qui flottent dans la pénombre d'un grenier, dans l'obscurité d'une grotte ou dans le flou d'un abysse, je virevolte, tournoie, monte au moindre souffle.
 
Aussi subtil qu'un fil de pensée.
 
Depuis l'espace misérable de ma réclusion, je conçois diversement les rapports entre les êtres et les objets. Mon existence y est dure mais perfectible. Mon esprit s'adapte à ces âpres circonstances : réduit aux neuf mètres carrés de ma geôle, il fait de cette dernière tout un royaume. Il dépasse l'opacité des murs et les remplace par des horizons éclatants.
 
En quelque sorte, je me réinvente dans ma cellule.
 
Le temps passé derrière les barreaux est un véritable tourment. Mais aussi un luxe. Mon âme, allégée des soucis du quotidien, des pesanteurs et obligations du siècle, se livre sans entrave à toutes les spéculations que permettent l'enfermement et l'inactivité. En cela elle ressemble à ces parcelles de matières libres qui tournent et fusent dans le silence des coins cachés.
 
Ces corpuscules volants s'apparentent tellement à des étincelles...
 
Les plus faibles mouvements d'air suffisent à les faire danser dans l'immensité du vide. Une once d'électricité statique ou une humble brise leur sert d'onde motrice. Et ces vagues hasardeuses qui les animent les portent loin et très haut.
 
A l'image de ces fragments de saleté que l'on associe à des diamants éphémères dès qu'un frémissement les soulève vers un rai de lumière, dans mon abîme il me faut peu de vent, une cause infime pour que je décolle et vogue dans des sphères secrètes.
 
Dehors, on estime que je n'incarne aucune flamme majeure tant ma présence semble anodine dans l'étroite pièce de mon confinement. Pour les regards profanes, ma personne se résume à un numéro d'écrou dans un pénitencier où je paie mon crime.
 
En vérité ici je brûle, brille et palpite, même si nul ne le sait.

Dans ces moments suprêmes où les jours qui s'accumulent me projettent en direction de tous les vertiges, au fond de mon trou je me sens l'égal d'une étoile.

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