Voilà plus d'une décennie que le temps m'écrase dans cet espace sans espoir
de neuf mètres carrés. Je suis comme un papillon enfermé dans une forteresse.
Mes ailes caressent inutilement les murs de béton. Les barreaux d'acier brisent
toute joie en moi. Nulle chair vivante sur Terre ne serait capable de rompre
cette barrière de métal, de fissurer ces parois invincibles, d'ébranler cette
porte inviolable. Les remparts qui m'entourent forment un océan intraversable,
des montagnes de glace, des gouffres de lave. Bien au-delà des conceptions
humaines.
La distance est incommensurable entre la tristesse de ma cellule et l'air
libre.
Jamais je ne sortirai de cette pièce à la densité d'enclume où je gis et
gémis. Mes pensées de feu s'y enracinent et s'y égarent, ma raison chancelle,
tout m'échappe, je perds pied, mes rêves deviennent de plus en plus vagues, ma
vue s'alourdit et j'entends des pierres qui parlent, sens des doigts de fer se
poser sur mes lèvres, vois une ombre immense se dresser face à moi, aperçois un
horizon morne qui m'ouvre ses bras pleins de brume pour, sans un mot, m'inviter
à une mort lente...
Je me retrouve loin de moi-même, au bout de tous les chemins, en bas de
l'impossible escalier, au point culminant de l'inimaginable vertige. La folie
qui me prend me semble ordonnée selon des normes extravagantes qui dépassent les
bornes matérielles de ma geôle. Si bien que, ivre d'obscurité et avide de
flammes, emporté par ma fièvre, je puis soudainement m'extraire de cette prison
et m'envoler vers des réalités autres, hautes, claires.
Et je ne sais plus où je suis finalement arrivé : au sommet de ce que
j'espère ou bien au pied de ce que je redoute ? Près d'un but ultime ou au fond
d'un éternel et absurde recommencement ? Devant un début d'infini libérateur ou
plongé dans une fin du monde à échelle de mon cloître immuable et de mon lit
scellé ? Ma démence sera-t-elle mon refuge ou mon enfer ? Ma fuite ou ma dérive
? Ma barque d'évasion ou mon radeau de naufrage ? Mon voyage ou mon errance ?
Mon salut ou ma ruine ?
Le tumulte routinier du matin me réveille, il est déjà sept heures !
Reprenant mes esprits, je me lève en oubliant ces mauvaises herbes de la
nuit. Une nouvelle journée m'attend. Peut-être entreverrai-je par la fenêtre une
moindre fleur accrochée au ciment.
Avant que le soir ne revienne m'étourdir de ses coups sourds et confus
cauchemars...
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