L'administration carcérale se préoccupant du bien-être de ses hôtes, elle s'enquiert de leur santé mentale, de leur équilibre psychique, de leur confort général.
Quelle ironie !
Elle envoie des psychologues auprès des prisonniers afin de faire le point sur leur situation qui demeurera de toute façon invariable, à savoir l'inconfort de l'enfermement et la déprime à perpétuité. Comme si le fait de prendre le pouls d'un moribond pouvait l'empêcher de devenir bientôt un cadavre...
C'est ainsi que je reçus l'un deux. D'apparence frêle, jeune encore, à peine sorti de ses études mais plein d'assurance cependant, il m'interrogea fort aimablement derrière ses fines lunettes et ses airs doctes :
–- Alors comment se passe votre incarcération ? Votre moral est comment en ce moment ? Allez-vous bien ?
Ses questions, dans un tel contexte, tombèrent comme des enclumes sur un tapis de neige. Vertigineuses de bêtise ou de candeur, d'inconscience ou de cruauté, je ne sus trouver la manière juste ou décalée d'y répondre. Peut-être par l'absurde, à l'image de cette démarche bureaucratique lunaire entreprise au "bénéfice" des captifs à vie de cette prison... J'hésitai entre le mot d'humour tranchant et le silence éloquent. Ou encore entre le sourire goguenard et la réflexion absconse, voire stupide.
Finalement je le regardai avec gravité. Et, tentant d'afficher un visage incrédule, je lui lâchai :
– Mais enfin je me porte à merveille, Monsieur ! Vous m'inquiétez... Cela ne se voit donc pas que j'irradie de bonheur entre ces murs ?
Mon interlocuteur sembla soudain mesurer l'énormité de la foutaise à laquelle il participait et la vacuité de sa posture officielle. Il s'excusa, maladroit, :
– Evidemment, je comprends... Le sens de ma demande, vous l'imaginez bien, visait l'aspect plus pragmatique du quotidien au sein de votre réclusion et...
Je ne le laissai pas finir sa phrase inutilement affectée :
– Je suis dans cette cellule pour y mourir d'ennui. Je dois expier ma faute. Les barreaux sont mes uniques horizons, qu'ai-je besoin d'un âne savant de votre espèce pour brasser du vent, sortir de telles sornettes, ouvrir ce robinet de stérilités face à l'océan d'incompressible vérité que j'incarne ? Vous essayez de caler un cube dans une sphère, de rationaliser l'anormalité, de faire entrer le hors-cadre dans vos cadres. Dans votre jargon de pur technicien des âmes vous appelez "acte inapproprié" ou encore "comportement dysfonctionnel" l'immensité du péché. A vos yeux le mal se réduit à une sorte de réaction allergique plus ou moins prévisible de la part de tel ou tel individu par rapport à un environnement social donné. Vous cherchez des explications raisonnables aux feux ou au fumier des êtres. En réalité vous ne servez qu'à vider la mer avec un coquillage. On vous paie pour vous efforcer à mettre l'infini dans une éprouvette de laboratoire. Vous êtes un rat d'ignorance affrontant une montagne de sagesse. Vous ne convaincrez que les esprits faibles avec vos sottises psychologiques. Seuls les criminels tordus, réfugiés dans l'ombre et effrayés par la lumière, écouteront religieusement vos fadaises. Moi, voyez-vous, j'ai dépassé vos normes imbéciles et faussement humanistes de fonctionnaire de l'état et suis déjà arrivé au niveau du ciel des éveillés de haut vol.
Il comprit à qui il eut affaire et n'en attendit pas plus de moi. N'insistant pas plus sur mon cas, il me laissa avec mes vues supérieures. Il repartit, désabusé.
Je sentis qu'il n'était plus du tout dupe de ce cirque où très sérieusement il jouait le rôle de clown.
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