26 septembre 2025

17 - Tête de taulard

Maintenant que je n'en finis pas de crever à l'ombre à petit feu, à présent que je suis installé dans ce trou qui me sert de tombe depuis assez longtemps pour y broyer du noir e permanence, je peux dire que j'ai pris la couleur des lieux et que j'y ai même gagné une vraie tête de taulard !
 
Avec ma boule à zéro, ma mine patibulaire, mon regard de loup pris au piège, je ne ressemble plus à rien. Ou plutôt, on m'assimile volontiers à la pire partie  de l'Humanité. Pas de quoi en tirer gloire, certes.
 
Pourtant, je ne me trouve pas si mal que ça dans ma nouvelle peau de bête.
 
J'ai l'impression d'être habillé pour le restant de mes jours, prêt à traverser les années sans faire de chichis. Je traîne une carcasse passablement allégée, ainsi débarrassée des artifices de la civilisation des gens libres... Au moins ici, plus de possibilité de mentir en portant des vêtements aussi rutilants que trompeurs et en s'affichant avec des cosmétiques sophistiquées pour être honnêtes.
 
Je suppose que je dois faire peur avec mon allure d'épouvantail. Il faut reconnaître que ça me donne du style, une certaine hauteur, et peut-être aussi une forme d'élégance ultime, un air de condamné aux galères. Une sorte de fuite de la réalité. Comme si j'étais devenu un détenu de roman, un prisonnier hors du commun, un engeôlé enjôleur.
 
Mon apparence crée un contraste remarquable avec les tenues réglementaires impeccables du personnel pénitentiaire. Cela me distingue, je me sens un peu moins anonyme que sous mon froid numéro d'écrou. Je cherche la moindre once de chaleur, la plus modeste parcelle d'humanisation, n'importe quelle source où boire de la lumière.

Enfermé dans ma cellule au coeur d'un néant, je n'ai plus que ma face de rat à contempler dans le reflet de l'eau de mes chiottes !

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