Ca devait arriver, depuis tant d'années que je séjourne dans cette caisse
de résonance du néant où rien d'autre ne se passe que la stagnation des heures
de plomb... La nouvelle fait l'effet d'un coup de matraque sur un dormeur : un
prisonnier s'est évadé !
L'impensable a donc eu lieu. La hantise des geôliers et le rêve de leurs
hôtes... Ces derniers d'ailleurs manifestent leur contentement par des cris
joyeux accompagnés de tapages de singes hystériques, tapant des pieds contre les
portes et improvisant des concerts de percussion sur les barreaux
La prison entière est en effervescence. Les gardiens, nerveux, redoublent
de vigilance et le reste du personnel fait du zèle. Les détenus ayant le
privilège de sortir de leur cellule y sont maintenus confinés, les alarmes ne
cessent de résonner au sein de l'établissement et des bruits de toutes sortes
emplissent les couloirs.
Je crois bien que je dois être le seul à demeurer de marbre face à ce
cirque.
L'évasion de cet individu me laisse totalement indifférent, pour ma part.
Je ne participe évidemment pas à l'allégresse générale de mes frères d'infortune
avec qui je partage le même sort mais dont je me tiens le plus loin possible en
vérité. Je n'éprouve pas de compassion particulière à l'égard de cette engeance
de malfaiteurs, n'ayant ni l'honneur ni la fierté d'appartenir à leur monde de
crapules. Certes, il est vrai que j'en fus une moi aussi avant d'entrer dans ce
pénitencier, mais j'ai aujourd'hui trouvé maintes raisons pour renier ce passé
douteux.
Leurs réactions aussi stupides que stériles ne m'apparaissent en aucune
façon comme les signes d'une quelconque repentance. Soyons réalistes et jugeons
froidement les choses telle qu'elles sont : ces hommes se réjouissent que l'un
des leurs, un criminel potentiellement dangereux pour la société, soit retourné
dans la communauté des gens honnêtes afin d'y poursuivre ses oeuvres
répréhensibles. Bien sûr il y a l'heureuse possibilité que ce fuyard devienne un
sujet exemplaire une fois devenu libre, rompant radicalement avec sa funeste
existence de malfrat, mais cela se voit rarement dans la réalité...
Où est la cohérence de ces prétendus repentis là-dedans, attendu
qu'ils sont plus ou moins censés (officiellement en tout cas) regretter les
actes les ayant conduits à l'ombre ? Quelques-unes de ces oies blanches
revendiquées clament même haut et fort, en dépit de tout bon sens, être des
victimes du système parfaitement "innocentes"... Preuve de leur incommensurable
bêtise et de leur incorrigibilité.
Pourquoi devrais-je me sentir solidaire de ces âmes médiocres fêtant le
triomphe du vice et non celui de la vertu ? Sous prétexte que je mange leur
nécessaire pain carcéral, il faudrait que j'avale également le vin superflu de
leur vile ivresse ? J'accepte d'être leur égal dans le châtiment, pas leur
complice dans la fuite des responsabilités.
L’affaire du fugitif remuera la fourmilière jusqu'au soir.
Moi pendant ce temps d'affolement, impassible sur mon lit, je dors.
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