24 septembre 2025

11 - La mouche

A l'heure du repas de midi, je n'ai pas été seul.
 
Une intruse a pénétré la bulle à la fois sacrée et honnie de ma cellule. Non il ne s'agissait pas d'une femme mais d'une mouche. Attirée par l'odeur de mort ou bien d'abondante misère du contenu de ma gamelle : carottes à l'eau accompagnées de semoule simple. Régime frugal bien mérité de gibier de potence !
 
Bref, l'importune m'a d'abord tourné autour avant de se poser sur mon festin de légumes. Au moins, ai-je pensé en la voyant se repaître de l'opulence de mon écuelle, cette mini merde volante vit libre, heureuse peut-être comme peuvent l'être les moindres créatures de son espèce. Et on aurait même dit qu'elle me narguait, une fois repue d'un infime fragment de ma tambouille, satisfaite d'avoir impunément piétiné ma pitance avant de s'envoler vers la liberté...
 
L'affreuse bête m'a immédiatement agacé.
 
Beaucoup à ma place auraient eu pitié de cette visiteuse de prison impromptue. Ces mêmes condamnés face à cette situation auraient joué les bons samaritains, accordant de grands sentiments et émettant de hautes pensées à l'égard de cette piètre chose, tout en se prenant pour de nobles âmes et des esprits pétris de romantisme... Du fond de leur désespérante solitude, certains de ces bandits se seraient volontiers ingéniés à composer des poèmes, j'en suis sûr, à la gloire de cet insecte infâme venu infecter leur nourriture de ses germes douteux.

Quelle classe ! 
 
Et ce, afin de bien montrer, tant à eux-mêmes qu'aux autres, que depuis leur abîme moral (ayant eu pour conséquence de les amener, comme c'est mon cas, à purger une longue peine), ils sont capables de faire preuve de prétendue hauteur de vue, de sensibilité, de compassion, de conscience solaire à l'endroit de ce minuscule diable ailé.
 
Comme pour tenter d'amoindrir leur crime, s'inventer une posture d'humanisme carcéral, faire croire qu'ils sont sagement devenus des initiés ayant compris le sens de la vie et servant d'estimables causes spirituelles...
 
S'ils ne s'étaient pas retrouvés en ce lieu de pénitence, ils auraient soit chassé, soit aplati purement et simplement n'importe quel ignoble diptère qui se serait aventuré à souiller leur plat, au lieu de leur ouvrir leur coeur avec de ridicules déférences.
 
Aveu indirect de bassesse en réalité... S'ils avaient été de vraies natures généreuses, ils auraient pas attendus d'être sous les barreaux pour honorer cette écoeurante bestiole.
 
D'ailleurs, quelles que soient les circonstances, il faut être une foutue saleté pour éprouver de la considération envers cette idolâtre des excréments !
 
Moi je n'ai pas succombé à cette hypocrisie. Je suis demeuré humain sur ce point. Non, je n’ai pas chanté d'hymne en hommage à cette hôte non désirée de ma pauvre table de détenu.
 
Au contraire, je l’ai punie d’avoir osé foutre ses sales pattes sur mes aliments en se moquant de ma captivité de ses ailes vrombissantes.

De ma paume rageuse et vengeresse, je l’ai promptement ratatinée contre le mur !

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