20 octobre 2025

48 - Quelle issue à mon chemin ?

Au cour de ma longue route derrière les barreaux, je ne croise que mon ombre, ne rencontre que les murs, ne parle qu'au silence. Mon voyage est une descente dans les gouffres glacés du temps anonyme, opaque et austère.
 
Entre moi et les gardiens tout est simple, net et efficace. Nous échangeons des mots basiques et courtois, communiquons des pensées neutres ou bien pragmatiques, partageons de furtifs instants de franche affabilité. Bref nous vivons en parfaite intelligence. Je prends constamment soin de maintenir une certaine distance qui permet précisément de ne jamais dévaluer ces relations cordiales à travers d'éventuelles familiarités. J'entretiens avec le personnel carcéral des rapports sereins et policés. Je crois que je suis apprécié au sein de l'établissement.
 
Ne faisant guère de vagues, je coule discrètement telle une onde morne enfermée dans son canal de ciment dont on sait qu'elle ne déviera pas de sa voie rectiligne.
 
Si je suis bien entouré en qui concerne les obligations quotidiennes, c'est toujours seul qu'il me faut traverser les funestes déserts séparant le midi de la libératrice soirée où tout recommence à bouger et bruire un peu autour de ma cellule.
 
Juste après le déjeuner, je me retrouve sans nulle compagnie jusqu'à l'heure vespérale. Les agents du pénitencier ne sont plus là pour apporter un peu de lumière. C'est là véritablement que commence la partie dure de ma peine. C'est dans cet espace mortel de ma vie que mon âme souffre réellement et intensément. Ou plutôt, qu'elle oublie de se sentir exister, fuyant vers un monde de néant pour mieux échapper à son triste sort, comme si elle tentait de n'avoir plus conscience d'elle-même. Il m'arrive de passer ce moment stérile en attendant bêtement le repas du soir, inutilement étendu sur mon lit à fixer le plafond, à l'écoute du vide, la tête pleine de plomb, de poussière et d'ennui.
 
Et j'avance ainsi pas à pas, sans sortir de mon trou. Je progresse peu à peu dans mon "immobilisme en action", tantôt chargé d'idées noires, tantôt délesté de tout encombrement intérieur. Je file sur mon chemin de condamné, lentement, à l'allure désespérante d'un interminable sur place. Je marche quand même. Vers un horizon plat peut-être, vers des années de ténèbres il est vrai, vers une mort assurée je ne peux le nier, mais au moins les jours m'emportent.
 
Mais je me meus, vaille que vaille.

Aussi peu que ce soit, je me dirige dans la bonne direction. Je traîne ma carcasse, je gagne du terrain, je poursuis mon destin. Même si je creuse ma tombe, je sais qu'au coeur de cet univers sombre et statique où j'ai tellement l'impression de ne rien faire, finalement je contribue involontairement, du fond de mon minuscule antre de rat, au progrès de la cause humaine imbriquée dans le vaste ordre cosmique.

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