23 novembre 2025

73 - Mes trésors dérisoires

Dans le dépouillement extrême de ma réclusion, les moindres bagatelles, babioles et bricoles prennent des proportions énormes et deviennent pour moi de véritables trésors. J'apprécie d'autant mieux les plus petits éclats de fraîcheur, les miettes de sucre, les occasions éphémères de confort que ces menues consolations sont rares au fond de cette nuit permanente où j'évolue.
 
Il en faut peu pour meubler mon sinistre espace de flammes gigantesques. Un bout de rien du tout, un début de quelque chose, des restes sans valeur apparente peuvent se transformer en hochets précieux à mes yeux. Je puis détourner à ma guise n'importe quel objet inutile ou insignifiant et l'utiliser pour d'inlassables distractions. C'est ainsi que je cherche à passer le temps, lorsque mon esprit est disposé prendre ses distances avec les murs.
 
En dehors de mon crayon et de mes feuilles de papiers qui occupent une partie de certains de mes jours (je n'écris pas régulièrement, loin de là), je me livre à divers jeux que j'invente spontanément. Ce sont là des activités ludiques parfaitement absurdes ou au contraire fort intelligentes. Qu'elles soient basiques, complexes, purement mécaniques ou créatives, simplement manuelles ou bien hautement cérébrales, ces indispensables futilités constituant de minuscules évasions m'emmènent hors de ma geôle et c'est l'essentiel.
 
Ces dérisoires dérivatifs sont mes seules aires de loisirs au coeur du néant, mes maigres oasis en plein désert carcéral, mes uniques sources d'ondes claires au milieu des brumes perpétuelles.
 
Mes frivolités de condamné à vie tournent follement et indéfiniment autour de thèmes imaginaires  multiples et parfois radicalement opposés. Telle fois je me perds dans des sphères mathématiques abstraites, telle autre fois je m'aventure dans des lieux célestes colorés. Tantôt il s'agit de gestes répétitifs vides de sens et ne se rapportant à aucune réalité familière, tantôt il est question d'histoires improvisées sans nom, sans fin et sans but mais pleines de rêves fabuleux.
 
Je fais des châteaux avec tous les débris qui me tombent sous la main. Une gomme usée, un morceau de carton, un bouchon de stylo suffisent pour me projeter dans des rêveries profondes. Je m'en sers comme vaisseaux, chars ou carrioles pour mes voyages aux antipodes de ma cellule. Grâce à ces radeaux providentiels de bric et de broc, je vogue dans de merveilleux océans oniriques.
 
Ces misères matérielles, bidules épars et trucs trouvés ici et là m'emportent avec eux dans d'improbables expéditions aux confins de la Terre. A travers ces minces supports et selon leurs formes -carrée, oblongues, plates ou arrondies-, je m'embarque soit dans des camions, soit dans des fusées, et même dans des soucoupes volantes ou de simples rafiots, pour d'interminables odyssées virtuelles qui m'éloignent de la prison jusqu'à l'heure du prochain repas.

Quelle ironie ! Depuis mon trou de reclus, je retrouve mon âme d'enfant...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire