Soudain, la porte de ma cellule s'ouvrit.
Trois spectres apparurent.
Ou plutôt, je vis entrer mes geôliers habituels. Sauf que ceux-ci
arboraient des silhouettes effrayantes et des visages méconnaissables. Les
agents se tenaient debout à m'observer, comme amusés de ma stupeur. Sous leur
casquette impeccable coulait un fleuve de cheveux gris. Ils portaient, de même,
une barbe de cendre qui descendait le long de leur uniforme.
J'avais devant moi un trio de vieillards.
Des patriarches maigres, sans âge, fatigués. Mais demeurés visiblement
consciencieux de leur travail.
Courbés, ridés, les gestes lent, fragilisés par le poids de l’ancienneté,
ils affichaient tous un sourire radieux. L'un deux me présentait un énorme
gâteau. Ce dernier s'adressa à moi :
– Joyeux anniversaire ! Un événement pareil, ça se fête en grande pompe
!
Tremblant de peur en essayant quand même de faire convenable figure face à
cette triade de revenants hirsutes, je répondis :
– Joyeux anniversaire ? Mais pourquoi donc ? C'est nouveau ça ! Jamais on
ne m'avait accordé une telle attention auparavant. A quel privilège-ai-je donc
eu accès ?
– Vous avez cent ans aujourd'hui ! Bravo pour cette longévité !
Et les croulants matons à l'humeur festive me chantèrent aussitôt en choeur
un "happy birthday to you" touchant et un peu ridicule avec des trémolos qui
trahissaient leur vieillesse avancée. Pour la première fois depuis ma condition
de détenu, les surveillants me communiquaient un sentiment agréable. Quelle
belle surprise ! Derrière leurs aspects dégradés, leurs apparences piteuses,
leurs allures affaiblies et leur voix chevrotante, ils devenaient humains.
– Comment cela, dis-je incrédule ? Je suis devenu si vieux que ça ?
Celui qui me tendait la pâtisserie en souriant ajouta avec l'air le plus
aimable possible :
– Oui vous avez atteint un siècle d'existence entre les murs de cette
prison ! C'est exceptionnel. Vous êtes un respectable vétéran maintenant. Autant
dire un hôte de marque de l'établissement pénitentiaire.
En effet, une multitude de minuscules bougies se dressaient sur le tas de
crème... Une bonne centaine !
– Quoi ? Déjà ? Impossible ! Je n'ai pas vu passer ces années... Cela fait
si longtemps que je suis enfermé ici ?
Prenant cette fois un ton davantage affectueux qui me toucha, le gardien
poursuivit :
– Vous savez, nos protégés ne comptent plus le temps qui s'efface au bout
d'un moment, et pour eux une vie sous les barreaux finit par ressembler à un
voyage sans escale vers un horizon sans but. Lorsque arrive la date fatidique du
départ définitif, ils s'imaginent encore jeunes... Ils ne se rendent pas compte
de la ronde des saisons, des lustres, des décennies. Et oublient celle des astres, puis l'immensité de la perpétuité qui les emporte
beaucoup plus loin qu'ils ne croient, jusqu'à en perdre la raison... Ils s'attardent sur leur présent statique tandis que le monde tourne sans eux. Allez, n'ayez pas peur, soufflez donc sur les chandelles !
C'est en votre honneur qu'elles brillent aussi nombreuses en ce beau jour ! Ca
fait une éternité déjà que l'on vous garde au chaud, ça mérite bien quelques
paillettes, non ?
Je sursautai au coeur de la nuit, en sueur ! La petite troupe de cerbères
aux traits flétris et aux intentions si prévenantes disparut à l'instant où je
rouvris les yeux.
Soulagé de ce réveil tout en regrettant d'être sorti si brutalement de
cette aventure onirique qui aurait dû me mener je ne sais où, je cherchai un
sens à cette drôle d'histoire me laissant un goût entre ravissement et
inquiétude...
J'eus du mal à me rendormir, dubitatif, ne sachant pas vraiment si je
devais considérer cette évasion nocturne comme un doux rêve ou un affreux
cauchemar.
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