02 novembre 2025

57 - De vagues souvenirs

La réalité du "temps carcéral", comme disent pompeusement les psychologues qui ne savent rien dire d'autre, ressemble à un océan qui n'en finit pas de s'étendre et qu'il faut cependant traverser jour après jour, heure après heure, pas après pas. Vues du côté du détenu, ces années d'incarcération agissent pareil à un patient processus d'obscurcissement des pensées qui de déprimes en confusions efface certains souvenirs.
 
L'ombre définitive de la cellule, ou plus exactement son éclairage permanent, blanchit les vieux rêves, fait pâlir les anciennes passions, édulcore les images du passé. Les couleurs du bonheur révolu s'estompent, l'éclat des roses perdues devient une peinture fade, les visages tant aimés sous la lumière crue de l'été prennent les traits inexpressifs des masques ternis. Du fond de ma geôle, je revois une partie de ma vie sans plus aucun relief, délavée, refroidie.
 
Certes, des vestiges de ma jeunesse demeurent encore intacts, clairs et vivants dans ma tête. Mais beaucoup d'autres se sont envolés sous le poids des barreaux. Eloignés de moi depuis déjà bien longtemps, ils voguent désormais tels de vagues nuages au-dessus de mon trou de neuf mètres carrés. Ils restent en suspension dans une sphère quasi inaccessible, aux antipodes de mon quotidien de fer et béton.
 
Je ne me souviens que de formes informelles, de vents imprécis et de vaux voilés de brume, de chemins évasifs et d'horizons approximatifs.
 
Des flammes mourantes remontent en moi : je n'en perçois que des reflets incolores. La poussière de la prison ayant fini par recouvrir ma mémoire d'un tapis de grisaille, je vois à présent tout trouble. Ce qui fut jadis des mots de feu résonne maintenant entre mes quatre murs aussi pauvrement que des murmures. Les matins illuminés d'hier m'apparaissent aujourd'hui semblables à de tristes crépuscules. Les amis que j'enlaçais autrefois s'apparentent à des braises soit lointaines, soit éteintes. Le gouffre de l'interminable détention fait oublier les sommets de la liberté.

Tout n'est qu'étoiles mortes dans mon ciel de solitude.

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