L'enfermement sans espoir de sortie, les quatre coins de la cellule pour
derniers horizons, les lumières qui ne s'éteignent jamais, les silences
pétrifiants de la solitude que ponctuent les échos sinistres des couloirs, la
compagnie définitive des immuables barreaux, au bout de quelques décennies tout
cela peut provoquer chez le détenu d'incroyables hallucinations qu'il prendra
soit pour des certitudes de fer, soit pour de simples fumées, selon l'état de
son mental.
Chez les condamnés à de longues peines nul n'échappe, je crois, à ce
phénomène. Peut-être terrifiant pour les uns, merveilleux pour les autres.
Plusieurs fois au cours de mon interminable détention, j'ai pour ma part
été confronté à ces rêves quasi palpables que sont ces "visions carcérales". En
ce qui me concerne, je les considère comme des images que l'on peut soit
noircir, soit colorier. Chacun réagit en ce cas en fonction de la qualité de son
âme.
A force de me sentir escorté par les murs statiques de ma geôle et de faire
du sur-place sous le plafond qui pèse au-dessus de ma tête comme un couvercle de
béton, je deviens tout bonnement fou. C'est dans ces moments-là que la porte de
mon cloître de criminel se met soudainement à grincer doucement... Elle s'ouvre
toute seule devant mes yeux incrédules. Et là, au lieu de voir normalement
apparaître le décor sinistre du pénitencier, un immense champ de fleurs s'étend
face à moi sous un azur éclatant.
Je suis au milieu de cette prairie baignée de clarté, entouré par les
herbes sauvages. Au loin, des sommets neigeux se confondent avec la brume. Un
printemps éternel semble régner sur cette nature.
Une brise fait onduler ces milliers de plantes multicolores, des oiseaux
aux ailes majestueuses frôlent cette multitude florale, des papillons
virevoltent de tiges en tiges et bientôt cet espace de verdure parsemé de
bourgeons et de diamants vivants se transforme en une étendue sidérale peuplée
d'autant d'étoiles radieuses...
Je me retrouve aussitôt sous un firmament plein d'étincelles.
J'ai conscience d'être plongé dans un mirage, d'en faire intimement
partie-moi-même. Je sais pertinemment que je suis demeuré dans mon trou à rat et
que tout cela n'est qu'artifice. Cependant je me laisse emporter avec délices
par ce céleste mensonge. Je vole et m'évade, n'est-ce pas l'essentiel ? Je
profite du voyage et ne pense à rien d'autre qu'à l'infini au sein duquel n'en
finissent pas de briller les astres... Et où je me perds le temps d'un doux
délire.
Je sais que je recouvrerai toujours bien trop vite mes esprits, allongé sur
mon lit, rouvrant les paupières sous la lampe allumée de cette pièce qui me sert
de tombeau permanent. Revenu à moi une fois ce beau théâtre virtuel terminé, la
réalité de mon cauchemar de prisonnier reprendra le dessus.
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