Nul à l'extérieur de la prison ne pense à moi, je suis oublié du reste du
monde au fond de mon île de solitude encerclée de barreaux. Fort étrangement,
j'ai pourtant reçu un drôle de courrier (posté se manière impersonnelle depuis
une gare parisienne) écrit à la main et dont j'ignore tout de son auteur. Voici
ce qu'un inconnu (ou une inconnue) m'a adressé en m'appelant par mon prénom
:
"Untel,
Cette missive sera la seule que tu recevras de ma part, les circonstances
ne me permettant pas d'agir d'une autre façon. De là où je t'écris, les lois,
les règles, les vues sont différentes et les jours éclairés autrement. Tu ne
pourras jamais concevoir ni la forme de cet endroit ni la distance qui sépare ta
geôle du point de départ de cette lettre que tu tiens entre les mains. Je me
trouve dans un ailleurs inacessible à tes pensées, mais cependant pas si loin
que tu ne l'imagines. Mais peu importe, l'essentiel n'est pas là. Ne t'occupe
pas stérilement de tenter de comprendre cette réalité lointaine qui quoi qu'il
en soit, de par sa nature, t'échappera. Ne te concentre que sur le sens de mes
mots.
Je prends l'initiative à la fois folle et sage de venir jusqu'à toi comme
un oiseau qui passe, un enfant qui crie, quelques nuages qui blanchissent
l'azur. Je te sais sous les fers, caché sous terre, tenu dans la nuit de ce
siècle. Avec ce silence qui s'abat sur ta tête, jusqu'à ta mort, plus personne
ne te regardera en homme libre. Tu n'es plus vivant aux yeux de ceux du
dehors.
Du dormiras ici durant des décennies dans l'indifférence de l'Humanité mais
sous l'examen patient du Cosmos.
Tu y seras observé, scruté, sondé. Sans pouvoir te soustraire à cet oeil
inexorable, tu contribueras à ton insu à la lente et implacable évolution des
êtres, à l'élargissement des esprits, au perfectionnement de l'Univers.
Après avoir été une ombre, viendra le temps où tu accèderas à la
reconnaissance finale. Elu par les autorités des hauteurs. Une étincelle naîtra
sur ton front, qui te donnera la direction de la lumière. Mais avant, tu
verseras beaucoup de larmes. Tu vivras une existence de rat, tu te verras l'égal
des cafards et auras même droit à moins qu'eux. Egaré dans les fosses où
t'entraînera ta peine, tu jalouseras la vermine.
Je demeurerai ton unique compagnie. Mais tu me renieras, me maudiras, me
haïras.
Ton calvaire t'emmènera à droite et à gauche, en bas et en travers de ta
cage. Ce sera le prix de la clarté déposée à tes pieds. Ta faute étant lourde,
ton chemin se déroule devant toi à la nécessaire mesure.
Enfin, tu te réveilleras à mes côtés, apaisé.
Puisque tu fais partie des pires, tu mérites le meilleur."
Et le message est signé : "TON OMBRE"
Au sein de ma réclusion, j'accepte l'irrationnel telle une miraculeuse
légèreté, quasi palpable, tombée du ciel parmi les tangibles lourdeurs qui
m'entourent.
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